L’Analyse institutionnelle a très tôt considéré que les implications économiques constituaient l’une des déterminations sociales et politiques essentielles des pratiques de recherche. De l’analyseur argent entrant dans le dispositif socianalytique d’autogestion du paiement de l’analyse à la théorisation de l’institution comme interférence d’implications idéologiques, libidinales et matérielles, l’économique a toujours occupé une place de choix dans le champ d’analyse des pratiques sociales.

Ainsi, nous rappelions, dans le numéro 4 des Cahiers de l’implication annonçant celui-ci, l’enracinement théorique et politique du thème choisi, l’Argent, dans l’histoire de l’Analyse institutionnelle.

En préparant ce numéro, nous avons d’abord cherché à faire un inventaire des publications concernant la place de l’argent dans la recherche. Nous nous sommes assez rapidement aperçus que si de nombreux travaux de recherche portent sur l’argent, ses usages et ses enjeux, de beaucoup moins nombreux traitent de la question qui nous intéresse. Cette rareté nous a conforté dans notre projet !

Ce numéro 5 des Cahiers de l’implication répond donc à une triple visée puisqu’il s’agit à la fois de revisiter la genèse théorique et pratique de l’analyseur argent, de faire le point sur son usage actuel dans les pratiques d’intervention mais aussi de montrer l’intérêt qu’il y a à suivre la piste de l’argent dans l’analyse des institutions universitaires de recherche. Ce dernier point concerne tout particulièrement notre revue puisqu’elle est insérée dans un laboratoire universitaire et fabriquée par des personnes aux statuts divers. La sortie de ce numéro centré sur l’argent se produit au même moment que le passage du franc à l’euro. Nous en profitons pour prendre une décision que nous différons depuis plusieurs numéros et, comme d’autres marchands, nous augmentons notre prix de vente ! Si cette augmentation nous permettra quelques améliorations de fonctionnement, elle ne résoudra pas les difficultés économiques d’un certain nombre d’entre nous…

Nous proposons d’abord au lecteur de revenir sur la genèse du concept d’Analyseur Argent, à travers une réflexion menée en forme de « petite histoire ».

Une seconde partie regroupe des contributions qui tentent l’analyse de l’institution universitaire. Les deux premiers articles font apparaître les interférences entre le management de la recherche par les universitaires et le management des universitaires par la recherche de financements. En effet, l’obtention de crédits de fonctionnement ou de bourses pour des étudiants-chercheurs se trouve soumise à des dispositifs étatiques d’évaluation des équipes et des chercheurs. Les critères de ces évaluations ont des effets conséquents sur la manière dont se fait la recherche et sur les résultats qu’elle produit. La production scientifique de connaissances se trouve également prise dans une logique d’expertise qui pose alors la question de la « clientèle » potentielle des universitaires. C’est par cette entrée que des universitaires sud-américaines nous proposent une analyse des usages des sciences sociales dans l’offre de prestations en direction du public et de professionnels du secteur médico-social. Les commandes ainsi générées étant mises à profit dans la formation pratique des étudiants.

Dans une troisième partie, se trouvent présentés quelques emplois de l’analyseur argent dans les pratiques d’intervention socianalytiques d’aujourd’hui en France et en Argentine. Dans cette même partie, est également développée l’éventualité d’un passage progressif, dans certaines conditions d’intervention, d’un analyseur argent à un analyseur temps.

Enfin, la dernière partie s’intéresse à cette « main d’œuvre» invisible que constituent les chercheurs non statutaires, étudiants ou docteurs, pour lesquels la question du financement apparaît hors sujet car il manque. Des travaux récents dans le domaine de la sociologie de la science portent d’ailleurs sur cette population jusque-là ignorée. Le numéro se termine sur les tribulations d’une thésarde en quête d’éditeur pour publier sa thèse, autre manière d’illustrer les aléas de la production universitaire lorsqu’elle est réalisée aux frais du chercheur.

Ainsi, ce numéro témoigne de la fécondité de « l’analyse par l’argent ». Il amorce une réflexion qu’il serait intéressant de poursuivre, principalement dans deux directions qui n’ont pas été ici directement abordées : quels sont les effets de ces implications économiques sur les résultats de la recherche en sciences sociales ? Quelles questions politiques, éthiques, théoriques et méthodologiques cela pose-t-il ? Vaste programme de recherche, sans doute difficile à financer !

Solange L’Abbate, Laura Catini, Danielle Guillier, Gilles Monceau et Anne Perraut-Solivères